LES SEANCES ANATOMO-CLINIQUES

Prof JP SCULIER

Institut Jules Bordet, ULB

L'exercice anatomo-clinique est une pratique remontant à la grande médecine clinique française du 19è siècle. Le discuteur, un clinicien, reçoit le rapport d'un cas, souvent à problème, sans mention du diagnostic final. Sur base des éléments cliniques et paracliniques dont il dispose, il propose, habituellement lors d'une séance devant des collègues et appelée "séance anatomoclinique", son interprétation du cas et prend parti pour un diagnostic précis en développant les arguments en faveur de l'hypothèse choisie et ceux lui permettant de ne pas retenir les autres possibilités (diagnostic différentiel). Il s'en suit une discussion générale où chaque participant peut donner son avis et proposer son diagnostic s'il n'est pas d'accord avec le diagnostic du discuteur. L'exercice se termine par la présentation par les organisateurs, du diagnostic réel obtenu sur base d'un test, d'une intervention chirurgicale ou d'une autopsie et éventuellement accompagné de commentaires.

Cet abord peut paraître assez théorique car on ne procède habituellement pas à une telle dissection des diagnostics différentiels au lit du malade. En effet, dans la grande majorité des cas, nous identifions tout de suite le diagnostic. Les observations de notre examen clinique sont instantanément reconnues comme appartenant à un tableau de maladie que nous avons appris dans le passé et que nous pouvons identifier immédiatement sans devoir tenir un raisonnement mental. Ce processus intellectuel est appelé le diagnostic par reconnaissance des formes ( pattern recognition en anglais ou gestalt en allemand) mais il ne peut s'appliquer que pour des cas simples, typiques. Il nécessite également d'avoir une bonne culture médicale. Ce ne sont évidemment jamais de tels cas qui sont proposés dans des exercices anatomo-cliniques.

D’autres méthodes peuvent être utilisées, dans les cas compliqués, pour obtenir le diagnostic. On peut se baser sur les résultats de nombreux examens complémentaires pour pouvoir éliminer les multiples diagnostics possibles. Cet abord du diagnostic par exploration exhaustive des données est typique du médecin novice qui procède à de très nombreux examens complémentaires pour éliminer de très nombreux diagnostics, y compris tous ceux qui sont extrêmement peu probables. Cette méthode encore appelée inductive est à déconseiller: elle est fastidieuse, longue, coûteuse et non sans danger en raison des effets secondaires de certaines interventions diagnostiques et du risque lié aux décisions prises suite à l'obtention de faux positifs parmi les très nombreux tests effectués.

En fait, le débutant procédera de la même façon que le praticien chevronné devant tout cas un peu difficile. La première méthode possible est de se baser sur un organigramme décisionnel qui permet de poser un diagnostic par ramification. Il s'agit en fait d'algorithmes qui proposent, à chaque étape chronologique, de prendre une décision en fonction de la présence ou non d'un symptôme ou d'un signe ou de la positivité ou non d'un test donné ou de plusieurs tests et en faveur d'options présentées dans un éventail. Il faut pouvoir disposer de tels algorithmes pour utiliser cette méthode et cette contrainte est évidemment un inconvénient majeur. En effet, pour être efficace et sûr, l'organigramme décisionnel doit envisager dans sa stratégie diagnostique de façon exhaustive l'ensemble des diagnostics possibles avec des tests fiables qui permettent de les confirmer ou de les infirmer. Des algorithmes de ce type, validés dans le contexte pathologique précis du malade étudié, sont en pratique rarement disponibles.

La deuxième méthode est la seule à être souvent pratiquement utilisable en cas de difficultés diagnostiques, comme dans un exercice anatomoclinique. Il s'agit du diagnostic par approche hypothético-déductive. De son examen, le médecin repère un ou quelques symptômes, signes ou autres informations particulièrement pertinents. Ces éléments sont encore appelés "éléments pivots". Il formule ensuite, pour tenter de les expliquer, plusieurs hypothèses diagnostiques et va examiner d'une part si une ou plusieurs de ces hypothèses expliquent l'ensemble des observations réalisées chez le patient et d'autre part si les observations attendues pour une hypothèse donnée se rencontrent chez le malade en question. La confrontation des deux processus permet de réfuter plusieurs hypothèses et d'aboutir à un diagnostic expliquant le tableau clinique, qu'il conviendra éventuellement de confirmer par un test précis et univoque. Cette approche peut aussi être également très laborieuse si les éléments pivots sont mal choisis. Cependant, le clinicien expérimenté ira droit au but en choisissant ( et en identifiant lors de son examen !) les meilleurs éléments pivots et en émettant d'emblée les meilleures hypothèses diagnostiques. L'art du diagnostic se reflète dans cette approche déductive par le choix judicieux d'un nombre restreint d'hypothèses pertinentes. C'est l'abord le plus approprié à la majorité des situations cliniques complexes.


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